Cet article s’interroge sur les approches traditionnelles en santé au travail, en soulignant à la fois leurs caractéristiques, leurs apports et leurs limites, pour montrer en quoi l’école de Palo Alto peut constituer une approche pertinente en la matière.
L’originalité de cette dernière consiste à privilégier une démarche systémique, qui porte sur les interactions qui se jouent entre un individu souffrant et son environnement professionnel. A travers deux études de cas, l’un à l’hôpital, l’autre dans une entreprise agro-alimentaire de grande consommation, nous présentons le mode opératoire de cette approche.
La discussion qui suit permet une montée en généralité et précise dans quelles conditions l’approche de Palo Alto peut être mise en œuvre pour lutter contre les risques psychosociaux en entreprise.
Introduction
Le monde du travail est traversé par une multitude de problèmes psychosociaux – épuisement professionnel, burn-out, harcèlement, souffrances psychiques, etc. – dont le coût pour les organisations et la collectivité deviennent de plus en plus problématiques (Abord de Chatillon et al., 2012). La médiatisation des suicides au sein de grandes institutions françaises (Orange, Renault, La Poste, l’hôpital de Grenoble…) concourt à faire de la prévention de la souffrance au travail un sujet sociétal brûlant, qui interroge les pratiques managériales. Certains voient même dans ce phénomène une pathologie de civilisation liée à la nature des économies capitalistes, qui asserviraient l’être humain à une logique inextinguible de profit (Chabot, 2013). Si personne ne conteste l’importance du mal-être au travail, la manière de diagnostiquer le problème et d’y faire face est l’objet d’analyses divergentes (Thébaud-Mony et al., 2015). Comment accompagner et aider les salariés, managers ou collaborateurs lorsqu’ils sont en situation de souffrance ou de détresse ? Les réponses sont peu évidentes, malgré une production scientifique conséquente sur le sujet (Abord De Chatillon et Richard, 2015; Bernoux, 2015; Chakor, 2015).
L’approche de Palo Alto – du nom d’une petite ville de Californie où elle a été formalisée au sein du Mental Research Institute (MRI) à partir du début des années 1950 – vise à trouver des solutions concrètes, efficaces et rapides aux situations de souffrances psychiques (Wittezaele et Garcia-Rivera, 2006). Elle a fait l’objet de travaux en GRH (Brasseur, 2003), en communication (Dionne et Ouellet, 1990; Duterme, 2002), ou en conseil aux organisations (Malarewicz, 2012) et est régulièrement mobilisée en matière de résolution des conflits interpersonnels en entreprises (Gill, 2006 ; Boutan et Aubry, 2017) ou comme outil d’aide à la décision des entrepreneurs (Bornard et al., 2014). En revanche, elle reste encore peu appliquée en santé au travail, à l’exception de quelques travaux pionniers (Parmentier, 2009 ; Althaus et al., 2015). Dans ce domaine, elle est fondée sur l’idée maîtresse selon laquelle le mal-être, au travail ou dans d’autres sphères, est toujours le produit d’une interaction entre un individu et son environnement. C’est la relation de l’un à l’autre – et non l’un ou l’autre considérés comme des éléments indépendants – qui génère un état pathologique. Pour comprendre l’intérêt potentiel de la démarche de Palo Alto, il nous faut revenir, dans une première partie, sur les approches traditionnelles en management de la santé au travail. Nous verrons ensuite, dans une deuxième partie, les spécificités de l’école de Palo Alto et les principes d’intervention qui lui sont associés. La troisième partie sera consacrée au cadre méthodologique de notre recherche et à la présentation de deux études de cas. Nous discuterons dans une quatrième et dernière partie des mérites mais aussi des limites de l’approche de Palo Alto dans l’accompagnement et le traitement du mal-être au travail.
Les auteur-e-s
Didier Chabanet
Enseignant-Chercheur
IDRAC Business School
Chercheur au laboratoire Triangle
ENS Lyon
Chercheur associé
CEVIPOF-Sciences Po
(France)
Tarik Chakor
Maître de Conférences
IREGE EA 2426
Université Savoie Mont Blanc
(France)
Nathalie Goujon
Psycho-patricienne & formatrice
Professeure associée
ESDES – UCLy
(France)
Damien Richard
Enseignant-Chercheur
INSEEC School of Business & Economics
Chercheur associé
Chaire Management & Santé au Travail
IAE de Grenoble
(France)